On comprend qu’une telle œuvre n’embrasse pas seulement un siècle, mais tous les siècles, mais la vie entière du genre humain. L’étendue même de cette œuvre la rend insaisissable pour l’individu. Chaque homme, enfermé dans un cercle d’années très rétréci, manque tout-à-fait des moyens de contrôle pour constater les changemens survenus à la surface du globe. Il faudrait pour cela une observation continuée pendant des siècles. On ne peut donc juger des modifications lentes que notre action fait subir à la matière, aux végétaux et aux animaux domestiques, autrement que par les yeux de l’esprit. Regardons autour de nous : l’état actuel des choses et la place de l’homme dans le monde ne nous démontrent-ils point l’existence de cette force en vertu de laquelle l’homme crée en sous-œuvre dans la création de Dieu ? Comment, parti de si bas, cet être faible, armé seulement de son intelligence, a-t-il fini par donner sa loi à la moitié de la nature vivante ? C’est là une vaste histoire qui mérite de rencontrer un jour son historien, et dont les pièces authentiques se trouvent, pour ainsi dire, répandues sur toute la terre.
Si nous n’imaginons pas que les choses aient jamais été à la surface du globe autrement qu’elles ne sont à cette heure, c’est la faute de notre existence qui est courte et de notre vue qui est bornée. Cette erreur étroite, fatale au développement de la science et de l’industrie, disparaît à mesure qu’on s’élève vers la sphère des faits généraux. La nature n’est point immobile. Sans doute la nature, livrée à elle-même, ne change plus guère depuis les dernières révolutions