Page:Esquiros - Paris ou les sciences, tome 1.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supportait noblement son sort, quand tout-à-coup la France fut envahie et humiliée. C’était trop de revers à-la-fois ; Lakanal courba la tête sous l’affliction de sa patrie. Pour les hommes de la révolution, la patrie n’était pas un sol ; c’était une idée. Les Bourbons revenant, cette idée était morte ; la France de 89 et de 93, la France de Lakanal n’existait plus. Il avait gémi de la perte de la liberté ; cette fois, il lui fallait gémir sur la perte de la liberté et de la gloire. C’en était trop ; il s’exila. Dans un discours remarquable prononcé sur la tombe de Lakanal, M. de Rémusat disait : « Sa vie se fût écoulée dans un studieux repos, si, en 1815, une loi de proscription ne l’eût forcé d’aller chercher en Amérique un asile qu’il dut à la protection bienveillante de Jefferson. » C’est une légère erreur : l’exil de Lakanal n’eut rien que de volontaire ; nous en trouvons la preuve dans une lettre qu’il écrivait du Tombeckbée à son illustre ami Geoffroy Saint-Hilaire. Il y dit expressément qu’il avait été rayé de la liste de l’Institut, privé de sa pension de retraite, c’est-à-dire du salaire de l’ouvrier à la fin de sa journée, destitué des fonctions d’inspecteur-général du nouveau système métrique, mais non proscrit.

La réputation de Lakanal avait passé les mers. Le démocrate français fut reçu à bras ouverts par la démocratie du Nouveau-Monde. Le congrès des États-Unis lui vota des terres. Cet homme, dont l’activité était indomptable, se fit colon, planteur, pionnier ; il éleva sur les bords du fleuve de la Mobile une métairie, d’où il écrivait à ses amis de France : « Je jouis ici de la médiocrité dorée, tant vantée par Horace. » Ce ca-