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LES HOMMES

répond à une intention plus profonde que le souci, assez puéril en somme, de l’exactitude matérielle ou de la correction orthographique. Si l’auteur nous surprend par des détails singuliers et des dénominations inattendues, c’est que dès le premier abord il veut que nous nous sentions transportés hors de notre sphère, que nous ayons l’impression quasi physique de la différence des milieux et des époques. Mais il se propose bien de ne pas s’en tenir là. Il veut nous faire pénétrer avec lui jusqu’à l’âme des temps passés et des races disparues. Pour réussir dans cette entreprise, il falIait, nous disait-il lui-même, « un miracle d’intuition ». Ce miracle, lui a-t-il été donné de l’accomplir ? On ne saurait s’attendre, évidemment, à ce qu’il ait poussé jusque dans le dernier détail la psychologie des peuples. Ce n’aurait pu être qu’au détriment de la poésie et de l’art. Moins exigeants que lui, nous ne demanderons pas « qu’il se soit fait tour à tour le contemporain de chaque époque et qu’il y ait revécu exclusivement. » Il nous suffira qu’il en ait rendu exactement la physionomie générale, qu’il ait démêlé avec justesse et souligné avec vigueur les traits dominants et le caractère original de chacune des grandes races ou des grandes civilisations auxquelles il a demandé le sujet de ses tableaux.

L’Inde, soit légendaire, soit historique, lui a fourni le sujet de quelques-uns de ses plus beaux poèmes. Pays étrange, qui rassemble en lui les plus étonnants contrastes : ardeur sensuelle et extase mystique, voluptés savantes et extraordinaires macérations. Il semble que personne n’y fasse grand cas de la vie, de la vie des autres aussi bien que de la sienne. La passion, sous ce climat de feu, s’exaspère et va facilement jusqu’au crime. Djihan-Guir, le maharajah de Lahore, s’est épris, à entendre monter sa voix dans l’air nocturne, de la blanche Nurmahal, l’épouse d’Ali-Khân, que la guerre retient au loin. Et Nurmahal a juré d’être fidèle mais elle est faible, mais elle est femme ; elle aime les richesses, les grandeurs, le luxe, les fêtes, la soie et l’or, les saphirs et les diamants. Elle ne résiste pas au penchant qui l’entraîne. Mais pour éviter de commettre un parjure, elle commence par se débarrasser d’Ali-Khân :