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LES IDÉES LITTÉRAIRES

plus loin, plus haut, plus profondément que tous, parce qu’il contemple l’idéal à travers la beauté visible, et qu’il le concentre et l’enchâsse dans l’expression propre, précise, unique. » Quant aux « clameurs du vulgaire », et aux reproches ou aux éloges de la critique, il n’a pas à s’en occuper.

Cette théorie, qui repose sur une conception indéfinissable et quasi mystique de la beauté, réduit en somme toute l’esthétique à la question de l’art. C’est, comme on disait alors, une théorie de l’art pour l’art, de l’art considéré non pas seulement comme une fin en soi, mais comme la fin suprême de toute l’activité intellectuelle et morale de l’humanité. On voit dès lors sur quel principe se fondera la critique de Leconte de Lisle. Aux poètes dont il examinera l’œuvre, il ne demandera compte ni de la moralité de cette œuvre, ni de sa vérité, ni de son utilité sociale, ni même de l’idéal de beauté qu’ils se seront assignés. Il les jugera uniquement sur l’emploi qu’ils auront fait des moyens d’expression dont ils disposaient pour réaliser cet idéal. Il s’enquerra avant tout de leurs « titres d’artiste », certain de rencontrer un penseur et une haute nature morale là où il pourra admirer « la passion, la grâce, la fantaisie, le sentiment de la nature et la compréhension métaphysique et historique, le tout réalisé par une facture parfaite, sans laquelle il n’y a rien ». Et je ne crois pas ni que cette théorie soit indiscutable, ni qu’elle soit si éloignée des conceptions communes que son auteur se l’imaginait, ni qu’elle ouvre sur la nature et les conditions de l’œuvre d’art des vues si inattendues et si pénétrantes ; je ne crois pas en un mot qu’elle ait ni la solidité, ni l’originalité, ni la profondeur auxquelles visiblement elle prétend. Mais, si elle est, à mon gré, un peu simple et un peu courte, elle a du moins le mérite d’être nette, et Leconte de Lisle en a fait l’application à ses contemporains avec la rigueur qu’on pouvait attendre d’un caractère entier et d’un esprit absolu.

IV

Le premier de ses contemporains dont il s’occupe — j’allais