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LES IDÉES LITTÉRAIRES

à toute intelligence compréhensive comme une force vivante à la fois volontaire et fatale… On se sent en présence d’une volonté puissante conforme à une destinée, ce qui est la marque du génie. » C’est le seul poète lyrique que nous puissions opposer, « avec la certitude du triomphe », aux littératures étrangères, « excessif » sans doute, mais dont les excès sont des chefs-d’œuvre ; capable des plus grandes pensées comme des sentiments les plus tendres ; par-dessus tout, « artiste sans pareil », dont l’œuvre immense exprime à la fois toutes les voix de l’âme et tous les bruits de la nature. Cet éloge enthousiaste, Leconte de Lisle le fit entendre de nouveau, et presque dans les mêmes termes, en 1887, lorsqu’il vint s’asseoir sous la coupole à la place laissée vide par Victor Hugo. C’était la première fois que, depuis 1864, il exprimait publiquement ses idées littéraires. Ceux qui les connaissaient de longue date purent constater qu’elles n’avaient pas changé. Comme préambule à l’éloge de son illustre prédécesseur, éloge accompagné et relevé, selon l’usage académique, de quelques inoffensives critiques, il esquissa l’histoire de la poésie depuis Homère et Valmiki jusqu’à la Renaissance du seizième siècle et la rénovation littéraire du dix-neuvième. Il salua en Victor Hugo « un grand et sublime poète, c’est-à-dire un incomparable artiste, car les deux termes sont nécessairement identiques » et le dernier représentant peut-être « de la race des génies universels ». Ainsi, jusqu’au bout, demeurait-il fidèle à l’idéal littéraire qu’il avait conçu dans sa jeunesse et qu’il exprimait en 1852 dans la préface de son premier livre, donnant l’exemple d’une unité de doctrine, ou, pour mieux dire, d’une persévérance dans la foi qui impose le respect. Il nous reste maintenant à voir comment il a justifié sa foi par ses œuvres, ses théories par sa pratique, à lui appliquer à lui-même son propre critérium, en examinant la qualité, la valeur et l’originalité de son art.