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LECONTE DE LISLE

appellent la pierre ou le bronze. Il y en a un qui, même en vers, semble avoir été exécuté par le ciseau : c’est Niobé, contemplant, « immobile et muette » les cadavres amoncelés de ses enfants :


Comme un grand corps taillé par une main habile,
Le marbre te saisit d’une étreinte immobite
Des pleurs marmoréens ruissellent de tes yeux
La neige du Paros ceint ton front soucieux
En flots pétrifies ta chevelure épaisse
Arrête sur ton cou l’ombre de chaque tresse
Et tes vagues regards où s’est éteint le jour,
Ton épaule superbe au sévère contour,
Tes larges flancs, si beaux dans leur splendeur royale
Qu’ils brillaient à travers la pourpre orientale,
Et tes seins jaillissants, ces futurs nourriciers
Des vengeurs de leur mère et des Dieux justiciers,
Tout est marbre ! la foudre a consumé ta robe,
Et plus rien désormais aux yeux ne te dérobe.


Cette figure hautaine, figée dans son expression douloureuse demeure le symbole de ce qu’il y a dans l’art de Leconte de Lisle de sculptural et, pour emprunter au poète lui-même une épithète caractéristique, de marmoréen.

Parfois le sujet se complique un peu, mais sans excéder la mesure au delà de laquelle il serait difficile d’en donner une représentation plastique. Au lieu d’un personnage unique, on a un groupe ; Hêraklès enfant étouffant dans ses poings déjà forts les deux serpents envoyés contre lui :


Ils fouettent en vain l’air, musculeux et gonflés,
L’enfant sacré les tient, les secoue étranglés ;


Pan saisissant au passage la vierge errante à l’ombre des halliers :


                                  transporté de joie,
Aux clartés de la lune il emporte sa proie ;


dans l’ordre animal, le bœuf fuyant au hasard par les plaines sans bornes avec le jaguar cramponné à son dos,


L’un ivre, aveugle, en sang, l’autre à sa chair rivé[1] ;

  1. Poèmes Barbares : Le Jaguar.