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L’ART

sur lesquelles tranchent à intervalles irréguliers des voyelles plus claires, donne l’impression du chant monotone et léger de l’eau qui tombe goutte à goutte et fuit hors de la vasque de marbre


Au tintement de l’eau dans les porphyres roux
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tandis que l’oiseau grêle et le frelon jaloux,
Sifflant et bourdonnant, mordent les figues mûres,
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures
Au tintement de l’eau dans les porphyres roux.


Mais voici que sous les treillis d’argent de la vérandah où elle repose, la belle Persane s’engourdit peu à peu dans un demi-sommeil ; le bruit de l’eau dans la vasque, et de la brise dans le feuillage, et des oiseaux dans les branches, et des insectes autour des fruits n’arrive plus à son oreille que comme un vague chuchotement qui semble s’assoupir en même temps qu’elle… Pour donner de ce glissement dans le silence la sensation quasi physique, il a sud au poète de reprendre les mêmes vers, en éteignant seulement les notes trop vives et en accentuant la monotonie du rythme :


Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tout se tait. L’oiseau grêle et le frelon jaloux
Ne se querellent plus autour des figues mûres.
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux.


Ce qui donne leur valeur musicale aux vers de Leconte de Lisle, c’est le choix des sons plutôt que la variété des rythmes. Il n’a sur ce dernier point rien innové, rien inventé. Le vers qu’il a employé de préférence est l’alexandrin, l’alexandrin assoupli et libéré que lui léguaient les romantiques. Il s’en est contenté, et il l’a même beaucoup moins « disloqué » que ne l’a fait Victor Hugo. La seule liberté qu’il se soit permise avec lui, et que son illustre prédécesseur n’aurait pas approuvée, c’est d’assourdir la syllabe sur