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LES ANNÉES DE JEUNESSE

sur Jocelyn, sur le Caligula d’Alex. Dumas, sur Ruy Blas ; il critique les productions du jeune homme, et le prie, en retour, de lui dire ce qu’il pense des siennes « dans le détail ». Cependant, l’hiver se passe, et aussi le printemps, le printemps breton, précoce et doux, que Chateaubriand a décrit tes vacances arrivent. Leconte de Lisle emploie août et septembre à faire « une tournée artistique » en Bretagne avec trois peintres paysagistes de Paris. Le voilà qui court les grands chemins, à pied, un sac de peinture sur le dos. Son oncle et sa tante en sont scandalisés Aussi sont-ils heureux de le voir, au mois d’octobre, partir pour Rennes, ses papiers cette fois bien en règle, en vue d’y affronter les épreuves du baccalauréat.

Le 14 novembre 1838, il est reçu, sans gloire. Ses notes, que voici, ne sont pas brillantes. Sa composition écrite — une dissertation latine, en ce temps-là est « suffisante ». À l’oral, il est « faible » en arithmétique et en algèbre, « très faible » en géométrie, en physique et en chimie en philosophie, « passable » ; en grec « médiocre » (c’est de l’Homère qu’on a fait expliquer à ce futur traducteur d’Homère) « assez bon » en latin, en rhétorique, en histoire et géographie. Encore s’estime-t-il bien traité il s’attendait à un échec. Mais, « MM. les examinateurs se sont montrés extraordinairement bienveillants » à son égard — en raison peut-être de son origine coloniale — ; les demandes qu’on lui a faites étaient des plus faciles, aussi a-t-il pu y répondre passablement ; « le résultat, conclut-il, a été plus favorable que je ne le méritais ». Peu lui importent, d’ailleurs, les satisfactions de pure vanité. L’essentiel, pour lui, c’est d’être définitivement hors de page, libre de s’abandonner tout entier à son goût pour l’inaction physique — il s’avoue franchement « apathique » — et pour la flânerie littéraire. La ville où il habite maintenant est noire et triste, surtout par ces courtes journées de novembre, où tous les nuages de l’Atlantique viennent crever sur la Bretagne ; il y est seul, mais il s’y trouve heureux. « La ville de Rennes, écrit-il, me plaît beaucoup ; rien ne me manque : la bibliothèque, le théâtre, une chambre tranquille, et point d’amis !!!! Que demanderais-je de plus ? »