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LECONTE DE LISLE

Oh ! pleure, et doucement soulève ta jeune aile,
Pour retrouver enfin l’enceinte maternelle !…
Pleure ! — Les pleurs d’amour dont s’emplissent nos yeux
Mettent une rosée en nos cœurs soucieux !
C’est le doux souvenir qui charme la souffrance
Que nous laisse en fuyant la menteuse espérance ;
Dans l’ombre de la nuit c’est un rayon lointain
Qui prédit le lever d’un céleste matin !…
Ange déshérité, contemple sa lumière
Dans ce rêve divin qu’on nomme la prière ;
De l’oubli de la terre enveloppe ton cœur.
Entends ces douces voix qui t’appellent : ma sœur !
Et, livrant ton beau front aux brises immortelles.
Laisse l’espoir divin t’emporter sur ses ailes…


Telle est, du moins, de cette Lélia dans la solitude, la version orthodoxe, celle que les lecteurs de La Variélé eurent sous les yeux et qui s’accordait avec les tendances religieuses affichées par la revue. Mais il y en eut, dans le même temps, une autre, où le poète, loin d’incliner « le sombre esprit », « l’âme inconsolée », à la soumission et à la prière, l’exhortait à résister, à se raidir, à défier les puissances d’en haut


À quoi bon, Lélia, tous ces regrets infimes ?
Ne laisse pas longtemps tes deux ailes sublimes
                  S’engourdir dans le deuil ?
Vers le ciel irrité lève ta forte tête ;
Le courage n’est beau qu’au sein de la tempête…
                  Le génie, c’est l’orgueil !…


Cette version-là, Leconte de Lisle ne la publia pas il n’en confia le texte qu’à son ami Rouffet. N’était-ce pas déjà, en 1840 ou 1841, dans le milieu où il vivait, une hardiesse assez remarquable que de dédier publiquement à M. F. Lamennais quelques strophes enthousiastes, d’une belle langue et d’un large mouvement


Quand la maison divine, aux âges prophétiques,
Voyait ses voûtes d’or veuves des saints cantiques.
Et l’herbe de l’oubli crottre dans ses chemins,
Une voix descendait sur l’aile du tonnerre,
Et soudain quelque front vengeur et centenaire
                  Planait sur les pâles humains

Vieillard ! es-tu l’enfant de ces hommes sublimes
Qui du Carmel pour tombe avaient choisi les cimes,
Et de là, dans l’éclair, remontaient vers leur Dieu ?