De la rue de Grenelle, où on s’est rassemblé, on se rend en cortège à l’Hôtel de Ville, et c’est Leconte de Lisle à qui revient l’honneur, bien mérité, de remettre entre les mains du gouvernement le généreux manifeste. La démarche eut en haut lieu tout le succès qu’on en pouvait attendre. Quelques semaines plus tard, par le décret du 27 avril, l’esclavage était définitivement aboli. Elle en eut beaucoup moins à la Réunion. Les planteurs, que ruinait plus ou moins le changement de régime, en voulurent à ces jeunes gens, surtout à celui qui avait pris la tête du mouvement, et M. Leconte de Lisle donna satisfaction à leur rancune en supprimant à son fils la modeste pension qu’il lui avait faite jusqu’alors.
À cette date du 27 avril, Leconte de Lisle n’était plus à Paris. Dès les premiers jours, en bon révolutionnaire, il s’était affilié à un club. Lorsque le Club des Clubs, que dirigeait Marc Dufraisse, entreprit, avec l’approbation du ministère de l’Intérieur, de centraliser, en vue des élections prochaines, les efforts des clubs parisiens et d’envoyer des délégués en province pour y faire de la propagande, Leconte de Lisle et son ami Jobbé-Duval furent parmi ceux sur lesquels se porta son choix. Le rôle de ces « apôtres », comme les dénommaient les instructions rédigées à leur usage, était purement officieux. Ils étaient censés « voyager pour leurs propres affaires, pour visiter des amis, des parents, ou même pour leur plaisir » ; ils devaient user non pas d’autorité, mais de persuasion, « ne pas perdre une minute, créer des clubs, associer les électeurs, unir les républicains, faire pénétrer le républicanisme par tous les pores », et rendre compte, chaque jour, au Comité révolutionnaire des résultats de leur mission. Leconte de Liste fut envoyé tout naturellement en Bretagne, sous couleur de visiter sa famille de Dinan. M. Louis Leconte n’était plus maire depuis un an déjà, mais il avait toujours beaucoup de prestige dans la ville et d’influence sur ses concitoyens. Il est peu probable qu’il fût disposé à patronner son jeune cousin. Leconte de Lisle, froidement accueilli, fit de son mieux. Il assista à la plantation, le 14 avril, sur la place du Guesclin, d’un arbre de la liberté, en présence des autorités, du clergé, des pompiers et de la garde