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ET LES DIEUX

Le ton est encore singulièrement méprisant. Mais en poursuivant, avec une érudition mieux informée et un esprit moins étroit, ces recherches sur l’origine des religions, les philologues qui s’y adonnèrent ne tardèrent pas à reconnaître que sous la variété des croyances et des symboles, par le moyen de dogmes qui choquent notre raison ou de pratiques qui heurtent nos usages, s’exprime un sentiment essentiel à l’âme humaine, et le plus profond qu’elle puisse éprouver. Des grandes races qui ont tour à tour tenu la tête de l’humanité, chacune a eu sa religion, c’est-à-dire sa façon propre d’entrer en rapports avec l’inconnu et l’invisible qui nous presse de toutes parts, de résoudre l’énigme au sein de laquelle nous vivons, de concevoir l’homme et le monde. Et de la conception qu’elle s’en est faite ont découlé non seulement son culte, mais ses lois, ses mœurs, son art, sa civilisation tout entière. Le fait religieux s’est imposé comme un fait historique, le plus extraordinaire, le plus passionnant des faits historiques, le plus considérable aussi, celui sur lequel savants et philosophes se pencheront désormais, non plus comme autrefois, avec mépris et avec horreur, pour le railler et pour le maudire, mais avec curiosité et sympathie, pour l’approfondir et pour le comprendre. L’initiateur du mouvement fut un érudit d’Allemagne, le Dr Frédéric Creuzer, dont l’ouvrage capital, Les Religions de l’antiquité considérées principalement dans leurs formes symboliques ou mythologiques, parut entre 1810 et 1812. Religions de l’Inde, de la Perse et de l’Égypte, religions de l’Asie occidentale et de l’Asie mineure, religions de la Grèce et de l’Italie sont étudiées en détail dans les huit volumes de texte que comprend la Symbolique de Creuzer, telle qu’elle fut chez nous traduite, commentée et complétée, de 1825 à 1849, par Jean-Daniel Guigniaut. La lecture de ce volumineux traité, bourré de citations et hérissé de références, n’était guère accessible aux profanes mais, de bonne heure, les idées de Creuzer avaient été mises à la portée du public par des ouvrages d’un maniement plus commode et d’une forme moins austère. En 1824, Benjamin Constant publiait son livre De la Religion considérée dans sa source, ses formes et son developpement. Dès la préface, l’ouvrage