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LECONTE DE LISLE

Toutes les religions qui ont jamais existé, depuis les plus informes jusqu’aux plus belles, ont droit, nous l’avons vu, de retenir l’attention du poète. Avec ce sens du relatif qui est le sens historique, il dégage de chacune d’eues, en la simplifiant au besoin, ce qu’elle contient d’original. Au Kalewala, recueil des antiques traditions finnoises, il emprunte, pour en orner son poème du Runoïa, le mythe d’Ilmarinnen, l’éternel Forgeron, qui sur l’enclume d’or forge le couvercle de l’univers,


La tente d’acier pur, étincetante et ronde,


et, de son marteau divin, fixe,


                       dans l’air vermeil,
Les étoiles d’argent, la lune et le soleil.


Ailleurs, par la voix d’un barde celtique, il chante le premier matin de la race des Purs, le paisible sommeil du roi Dylan, bercé dans son palais de nacre par le murmure des grandes eaux, et la beauté des choses et le bonheur de l’homme, jusqu’au jour où le vieux dragon Avank,


Aux sept têtes, aux sept becs d’aigle, aux dents de fer,
Aux yeux de braise, au souffle aussi froid que l’hiver,


envieux de cette béatitude, rompt les digues de l’océan et ouvre un passage aux flots qui submergent l’univers ; puis, la vie à nouveau pullulant sur la terre, et les migrations des Kymris, voguant en flottilles innombrables, à travers la nuit et la tempête, vers l’Occident inconnu[1]. Sans se laisser rebuter par la diffusion du récit, la complication des détails, la barbarie des noms, il tire de l’ancienne Edda le récit de l’origine des choses : la naissance du géant Ymer, celle du roi des Ases, que la Vache céleste nourrit du lait de ses mamelles sacrées ; le meurtre d’Ymer, dont le cadavre forme de son crâne le ciel, de ses yeux les astres, les rochers de ses os, et dont le sang produit le déluge ; le couple humain sortant de l’écorce du frêne, la défaite des génies du mal enchaînés dans les antres de la terre, le règne de Balder,

  1. Poèmes Barbares : Le massacre de Mona.