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Page:Etienne-Gabriel Morelly - Code De La Nature.djvu/138

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que sa propre cause devait concevoir de lui une semblable aversion ; il fallait encore que ses propres accès de fureur et de repentir, de pardon et d’offense, de pitié et de cruauté, de tendresse et de haine, d’orgueil et de bassesse ; en un mot, que ses vacillations perpétuelles entre l’injure et le bienfait lui tissent forger une Divinité semblable à lui-même. Je dis en passant que telle est la véritable origine d’une idolâtrie qui subsiste encore.

Peut-on excuser ceux qui prétendaient remédier à ces maux, je veux dire les premiers réformateurs, et après eux les premiers moralistes, de s’être précisément servi de toutes les idées monstrueuses qu’avaient conçues les nations pour établir leurs lois ou leurs dogmes ?

Lorsque les peuples, las de leurs propres forfaits, commencèrent à soupirer après les douceurs de la sociabilité, et à se soumettre aux ordres et aux conseils de ceux qu’ils croyaient capables de la rétablir, n’était-il pas facile de leur faire connaître et de leur inspirer de la haine pour la première cause de tous leurs maux, la propriété ? Il n’était pas besoin de longs raisonnements pour faire comprendre au vulgaire, même le plus grossier, la nécessité de la proscrire pour jamais. Cela aurait-il été plus difficile à certains législateurs que de dicter des lois terribles ? Point du tout : au lieu de ramener, par cet heureux expédient, l’homme à sa bienfaisance naturelle, dont ses malheurs récents lui faisaient sentir tout le prix ; au lieu de le fixer dans cet état heureux, ils n’ont fait, pour ainsi dire, que le suspendre entre ce point d’appui et le précipice.

Mais ces réformateurs, entichés des mêmes erreurs que leurs peuples, pouvaient-ils s’empêcher d’en suivre le torrent ? Pouvaient-ils tout à coup reconnaître la véritable cause du mal ? C’était, sans doute, beaucoup pour eux que d’appliquer au hasard quelques topiques. Si leur ignorance les excuse, peut-on pardonner aux prétendus sages qui les