Page:Etienne-Gabriel Morelly - Code De La Nature.djvu/188

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essayons même, au moyen de quelques légères récompenses, d’en tirer des services. En raisonnant ainsi, les uns et les autres n’aperçurent pas que des motifs aussi imparfaits laisseraient toujours assez d’irrégularité à leurs actions pour porter dans les cœurs un levain funeste qu’ils s’obstinent à croire naturel.

C’est de la sorte qu’un léger rayon de vérité, à côté de l’erreur, donna l’être à la plupart de nos vertus sociales, vertus factices que la seule considération d’un vil intérêt fait pratiquer, sans que le cœur y ait aucune part. Le favori de la fortune, ne se voyant plus disputé ce qui lui était injustement échu, prit pour le pauvre quelques stériles sentiments de pitié, auxquels il ajouta quelquefois des secours passagers, et se crut par là quitte envers l’humanité. Quelques libéralités prirent bientôt les titres fastueux de générosités, de faveurs et de grâces. Le riche, le puissant se crut au-dessus du reste des hommes, à proportion qu’il l’imagina leur être utile, ou en état de leur nuire par des refus. Ceux qui en espérèrent ou en reçurent quelques dons, cherchèrent à se le rendre propice par des souplesses qui favorisèrent cette erreur. Telle fut la première origine des rangs, des dignités, des grandeurs, trophées fragiles que la misère affamée érigea à ceux qu’elle vit épris de ces fumées.

Le plus grand nombre des hommes, et partant les plus malheureux, cessèrent, à la vérité, d’être jaloux du sort des premiers, quand ils les virent trop élevés pour y pouvoir atteindre ; mais, envieux du degré de faveur de quelques uns de leurs égaux près de ces grands, s’empressant de les prévenir ou de les supplanter, ils enchérirent sur les hommages intéressés de leurs rivaux ; et le vulgaire en est venu à ce degré de folie, de ne vouloir trouver du mérite que dans ceux qui possèdent beaucoup ; il attribue aux idoles qu’il encense toutes les vertus chimériques