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Page:Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/43

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E. BOUTROUX. — L’INTELLECTUALISME DE MALEBRANCHE.

en matière morale. Si Dieu n’avait pas créé de telles lois, notre responsabilité, dans les actes que nous accomplissons, se limiterait à ces actes mêmes : les suites ne nous concerneraient pas. Mais Dieu a si bien lié, dans la nature, les effets aux causes, que vouloir la cause, c’est vouloir l’effet. Quelle n’est pas, dès lors, la malignité de l’homme qui accomplit une action dont les suites doivent être détestables ! Cet homme, abusant des lois par lesquelles Dieu s’est lié, oblige Dieu à réaliser une œuvre d’iniquité. Rien n’est plus sacré que la puissance, rien n’est plus divin. C’est donc un véritable sacrilège que d’employer la puissance à produire le mal. C’est asservir la majesté divine à la méchanceté humaine[1]. Forfait monstrueux, possible toutefois, grâce à la liaison des causes et des effets que Dieu a établie dans la nature.

Enfin il importe de remarquer que le libre arbitre de l’homme, dans la philosophie de Malebranche, est, par excellence, chose irréductible au mécanisme, et que, néanmoins, il est à la fois très réel et intelligible dans une certaine mesure.

Rien ne serait plus contraire à la pensée de Malebranche que de réduire le libre arbitre humain à n’être qu’une illusion, puisque, dans un tel système, Dieu serait lui-même l’auteur des pires actions commises par les hommes. Inexplicable par l’idée de l’étendue intelligible, le libre arbitre n’en est pas moins un être véritable. Il consiste dans la faculté d’obéir ou de résister à l’inclination naturelle vers le bien qui est le fond de notre volonté. Et nous n’usons pas moins de notre libre arbitre en obéissant qu’en désobéissant, puisque nous avons la faculté de désobéir.

Si le libre arbitre est à la fois réel et irréductible au mécanisme, s’ensuit-il qu’il soit inintelligible ? On ne saurait, selon Malebranche, l’assimiler au hasard ou au caprice. Il ne se détermine pas sans raison, et la raison à laquelle il adhère est la considération du bien lui-même. Mais, la nature offrant à l’homme des biens particuliers, l’homme a cette puissance, au lieu de ne rechercher ces biens secondaires que dans leur rapport au bien universel, d’y arrêter sa volonté, et de les considérer comme des biens absolus et des fins en soi. Il peut, dans son amour, substituer la créature au Créateur. Mais c’est parce qu’il est capable d’aimer Dieu qu’il peut mettre à sa place des idoles. Et ainsi, jusque dans l’usage coupable que l’homme

  1. Entretiens sur la Métaphysique, vii, 14.