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H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

manières différentes, puisque dans un cas comme dans l’autre la réponse doit être la même.

Et si la loi venait un jour à être reconnue fausse ? Si on s’apercevait que la concordance des deux effets mécanique et chimique n’est pas constante ? Ce jour-là, il faudrait changer le langage scientifique pour en faire disparaître une grave ambiguïté.

Et puis après ? Croit-on que le langage ordinaire, à l’aide duquel on exprime les faits de la vie quotidienne, soit exempt d’ambiguïté ?

En conclura-t-on que les faits de la vie quotidienne sont l’œuvre des grammairiens ?

Vous me demandez : y a-t-il un courant ? je cherche si l’effet mécanique existe, je le constate et je réponds : oui, il y a un courant. Vous comprenez à la fois que cela veut dire que l’effet mécanique existe, et que l’effet chimique, que je n’ai pas recherché, existe également. Imaginons maintenant que, par impossible, la loi que nous croyions vraie, ne le soit pas et que l’effet chimique n’ait pas existé dans ce cas. Dans cette hypothèse il y aura deux faits distincts, l’un directement observé et qui est vrai, l’autre inféré et qui est faux. On pourra dire à la rigueur que le second, c’est nous qui l’aurons créé. De sorte que la part de collaboration personnelle de l’homme dans la création du fait scientifique, c’est l’erreur.

Mais si nous pouvons dire que le fait en question est faux, n’est-ce pas justement parce qu’il n’est pas une création libre et arbitraire de notre esprit, une convention déguisée, auquel cas il ne serait ni vrai, ni faux ? Et en effet il était vérifiable, je n’avais pas fait la vérification, mais j’aurais pu la faire. Si j’ai fait une fausse réponse, c’est parce que j’ai voulu répondre trop vite, sans avoir interrogé la nature qui seule savait le secret.

Quand, après une expérience, je corrige les erreurs accidentelles ou systématiques pour dégager le fait scientifique, c’est encore la même chose ; le fait scientifique ne sera jamais que le fait brut traduit dans un autre langage. Quand je dirai : il est telle heure, cela sera une manière abrégée de dire : il y a telle relation entre l’heure que marque ma pendule, et l’heure qu’elle marquait au moment du passage de tel astre et de tel autre astre au méridien. Et une fois cette convention de langage adoptée par tous, quand on me demandera : est-il telle heure ? il ne dépendra pas de moi de répondre oui ou non.

Passons à l’avant-dernier échelon : l’éclipse a lieu à l’heure donnée