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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

verait encore à s’entendre avec nos non-euclidiens hypothétiques, bien qu’ils ne soient plus des hommes, parce qu’ils conserveraient encore quelque chose d’humain. Mais en tout cas un minimum d’humanité est nécessaire.

C’est possible, mais j’observerai d’abord que ce peu d’humanité qui resterait chez les non-euclidiens, suffirait non seulement pour qu’on pût traduire un peu de leur langage, mais pour qu’on pût traduire tout leur langage.

Maintenant, qu’il faille un minimum, c’est ce que je concède ; je suppose qu’il existe je ne sais quel fluide qui pénètre entre les molécules de notre matière à nous, sans avoir aucune action sur elle ni sans subir aucune action qui en vienne. Je suppose que des êtres soient sensibles à l’influence de ce fluide et insensibles à celle de notre matière. Il est clair que la science de ces êtres différerait absolument de la nôtre et qu’il serait superflu de chercher un « invariant » commun à ces deux sciences. Ou bien encore, si ces êtres rejetaient notre logique et n’admettaient pas, par exemple, le principe de contradiction.

Mais vraiment je crois qu’il est sans intérêt d’examiner de semblables hypothèses :

Et alors, si nous ne poussons pas si loin la bizarrerie, si nous n’introduisons que des êtres fictifs ayant des sens analogues aux nôtres et sensibles aux mêmes impressions, et d’autre part admettant les principes de notre logique, nous pourrons.conclure alors que leur langage, quelque différent du nôtre qu’il puisse être, serait toujours susceptible d’être traduit.

Or la possibilité de la traduction implique l’existence d’un invariant. Traduire, c’est précisément dégager cet invariant. Ainsi déchiffrer un document cryptographique, c’est chercher ce qui dans ce document demeure invariant, quand on en permute les lettres.

Quelle est maintenant la nature de cet invariant, il est aisé de s’en rendre compte, et un mot nous suffira. Les lois invariantes ce sont les relations entre les faits bruts, tandis que les relations entre les « faits scientifiques » restaient toujours dépendantes de certaines conventions.