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E. CHARTIER. — L’IDÉE D’OBJET.

chose ; et je ne puis faire le complexe qu’avec le simple ni connaître deux qu’après un. Le courbe n’a pas d’existence du tout pour personne en dehors d’un réseau de droites.

C’est par des réflexions de ce genre que l’on sera amené à comprendre que les positions, les formes et les distances que nous connaissons par les sens sont des conceptions identiques à celles que la science réfléchie construira. Une théorie de la perception, si nous la suivons avec patience ; nous conduira à comprendre que nous nous représentons les choses dans l’espace des géomètres. Une telle idée ainsi résumée et mise en formule risque de paraître tout à fait banale à ceux qui l’admettent comme à ceux qui la rejettent. Les grands philosophes, appliquant eux aussi les mêmes principes que l’enfant qui apprend à percevoir, ont jeté audacieusement de telles formules par-dessus les difficultés innombrables, et nous ont ainsi fixé d’avance le terme de nos spéculations. Ainsi font Platon avec ses idées, Descartes avec ses qualités premières, Kant avec ses formes a priori. Mais il nous reste à enrichir ces philosophies, qui ne sont plus que des formules, et à y faire entrer peu à peu toute la nature. Car ce n’est pas la même chose de comprendre par arguments que l’espace est antérieur à toute expérience, et d’avoir retrouvé cette même formule en réfléchissant sur diverses questions et en étudiant le détail de nos perceptions. Disons donc, pour terminer là-dessus, qu’il est bien plus difficile de comprendre les auteurs que de les réfuter, et que les étudiants, au lieu de se plaire à opposer les formules aux formules, devraient faire choix d’un auteur éprouvé, et le lire et le commenter jusqu’à ce qu’ils comprennent en quel sens il a raison. C’est ainsi qu’il faut entendre que, dans les choses philosophiques aussi, la critique est aisée et l’art difficile.

De tout ce qui a été ci-dessus expliqué, on peut conclure de nouveau que toutes ces études de la structure des organes de nos sens, dont on fait aujourd’hui tant de bruit, et dont on voudrait encombrer plus que de raison les études philosophiques, ne nous avancent en rien pour l’analyse des idées. Car on a coutume de dire, par exemple, que nous voyons l’espace comme nous le voyons, parce que nous avons l’œil fait de telle façon ; et c’est l’argument dernier de nos modernes Protagoras, à savoir que l’homme est la mesure de toutes choses, l’homme, c’est-à-dire le corps de l’homme. En réalité la condition de la connaissance de l’objet un, comme