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E. CHARTIER. — L’IDÉE D’OBJET.

Protagoras, c’est-à-dire le changement et la diversité, et rien autre chose. Or un tel monde n’est objet de connaissance en aucun sens, ni objet de science, ni objet de perception, ni objet d’une expérience quelconque, ainsi qu’il a été expliqué. D’un tel monde, supposé comme condition matérielle du progrès de notre connaissance, d’un tel monde réellement extérieur à l’esprit, et qui n’a par suite de réalité que dans le discours, nul ne peut rien penser. Mais aussi ce n’est pas dans ce monde là que nous vivons. Nous vivons dans le monde que nous voyons et que nous touchons, dans le monde que nous pensons ; et ainsi le bien penser et le bien vivre ne sont pas séparables, bien loin qu’on puisse les opposer l’un à l’autre. Et sans doute l’action exige toujours de nous quelque sacrifice, parce que nous ne connaissons pas tout. Mais ce n’est pas le sacrifice de nos idées que nous demande la raison pratique, c’est, tout au contraire, le sacrifice du monde d’Héraclite, de l’imprévu et de l’imprévisible. Dire que l’homme est un être moral, c’est dire que l’homme doit agir avec ses idées comme si ces idées étaient complètes et parfaites, et l’on pourrait dire que la règle morale est celle-ci : agis toujours comme si tes idées les plus claires représentaient exactement l’ordre du monde. C’est ainsi qu’il faut entendre la maxime populaire : fais ce que dois, advienne que pourra.

E. Chartier.