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QUESTIONS PRATIQUES


À PROPOS DE LA « CRISE DU LIBÉRALISME »


J’ai lu avec tout l’intérêt qu’il mérite l’article pénétrant et fort de M. Bouglé sur la crise du libéralisme. La Revue de Métaphysique me demande mon sentiment sur la question : je ne puis le lui refuser, d’autant que cet article m’a inquiété, moi « libéral » qui me trouve, par la façon dont la question y est posée, classé parmi les « autoritaires ». Je me sens obligé à faire une revue de mes principes, un examen de leurs conséquences et de leurs applications. J’en serai quitte pour penser tout haut devant les lecteurs de la Revue. Je ne suis pas sociologue ni économiste : ce n’est pas un travail scientifique que je leur offre, c’est la confession d’un électeur qui cherche à raisonner.

Quand je réfléchis sur l’exposition saisissante de M. Bouglé, je ne puis m’empêcher de me demander s’il n’a pas un peu trop poussé les choses au noir et raisonné dans l’abstrait.

Il y a une crise du parti libéral : c’est certain. C’est-à-dire que les événements ont rendu insuffisantes les doctrines du parti libéral, les solutions pratiques qu’il était, par une tradition relativement ancienne habitué à proposer pour les questions politiques et sociales. Les événements ont fait aussi que ces solutions, longtemps révolutionnaires et instruments de progrès, sont devenues conservatrices et instruments de réaction : le parti libéral, en gardant ses positions historiques depuis un demi-siècle pendant que tout changeait, se trouve faire face à ses auxiliaires d’autrefois aux côtés de ses ennemis de la veille. De là trouble, désarroi, et dislocation : les uns ne se résolvant pas à changer de camp, se demandent s’il ne faut pas rejeter leur doctrine ; les autres ne se résignant pas à renier leur