Page:Eugène Le Roy - Au pays des pierres, 1906.djvu/15

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plupart touchant devant eux des « montures », comme ils disent, chevaux, mulets ou ânes, selon qu’ils ont de quoi, portant du fumier dans des « bastes » ou paniers de fort clayonnage accrochés au bât. C’est le seul mode de transport usité dans ce pays accidenté, plein de ravins et de coteaux roides et pierreux. Les charrettes ne pourraient gravir les mauvais chemins ruinés, rocailleux, qui montent, âpres, à un immense plateau avoisinant Montglat, où les habitants ont leurs terres et héritages provenant de l’allotissement d’une antique forêt défrichée.

Maintenant, la ville était réveillée. On entendait près de la place le métier du tisserand battre dans son « en-bas » obscur, et du côté de la porte Del Sol, le marteau du « faure » ou forgeron, après une série de coups assourdis par le fer rougi, retombait à petits coups sonores et décroissants sur l’enclume. Devant les maisons, des ménagères, le fichu largement ouvert, venaient s’asseoir à l’ombre, et jacassaient entre elles en tricotant ou ravaudant de vieilles hardes, cependant qu’une autre, restée debout, la quenouille au flanc, faisait tourner son fuseau rapide.

À la coupée de la boutique du coutelier, une jeune fille se montra bientôt. Sur le fond sombre de l’intérieur, elle se détachait grande et gracieuse, vêtue d’une robe d’indienne claire, qui « fronçait » au corsage et bouffait à la jupe. Au-dessus d’une petite collerette à pointes, sa belle tête, surchargée de cheveux d’un noir bleu mépartis en deux épais ban-