Page:Eugène Le Roy - Au pays des pierres, 1906.djvu/75

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méconnaissait pas les obstacles que la différence des conditions sociales dressait entre eux, et ne faisait pas de rêves ambitieux. Un bonheur caché l’eût pleinement satisfaite. Elle bornait modestement ses désirs à revoir son bien-aimé Yves, à le retrouver toujours aimant, toujours épris, à être réunis et heureux, toujours… Où ? Comment ? Ceci restait dans le vague du rêve, dans la brume des espoirs indéfinis.

Quelques jours après, le facteur remit à Capdefer, toujours seul maintenant à la boutique, une lettre adressée à Reine. Lui, jaloux, la jeta au fond d’un tiroir de l’établi, se ménageant ainsi en un besoin l’excuse d’un oubli. La pauvre affligée attendait impatiemment cette lettre promise par Kérado. Les premiers jours elle se raisonnait, s’efforçait de se démontrer l’impossibilité de la recevoir si tôt ; mais, au bout d’une semaine, l’inquiétude la prit et des chimères pessimistes l’envahirent. Quatre lettres se suivirent ainsi en trois semaines, toutes interceptées par Capdefer. La malheureuse Reine ne vivait plus. Des pensées douloureuses l’assaillaient et des angoisses terribles la faisaient gémir la nuit. Parfois il lui venait à l’esprit que peut-être Kérado l’avait oubliée… mais, aussitôt, elle repoussait cette idée et se la reprochait comme un manque de foi. Non ! non ! ces yeux francs, ce cœur généreux, cette parole loyale n’avaient pas menti en lui promettant un éternel amour ! Alors, quoi ? Une épouvantable incertitude la torturait, et toujours revenait, comme une pénible obsession, cette terrible interrogation :