Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/107

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voir la ville, mais pour lors, la peine m’ôtait toute idée de m’intéresser à tant de choses si nouvelles pour moi. Les gens dans les rues, sur le pas des portes ou des boutiques, nous dévisageaient curieusement, connaissant bien à notre air et à notre accoutrement que nous étions sortis de quelque partie des plus sauvages du Périgord : de la Double, ou des landes du Nontronnais, ou de la Forêt Barade, comme il était vrai.

Dans l’après-dîner du cinquième jour, nous remontions la rue Taillefer, allant vers Saint-Front, regardant machinalement les boutiques des pharmaciens, des liquoristes, des épiciers, des bouchers, des chapeliers, des marchands de parapluies, dont elle était pleine en ce temps, lorsqu’en arrivant sur la place de la Clautre nous vîmes un gros rassemblement.

Au milieu de la place, à l’endroit où l’on montait la guillotine, il y avait un petit échafaud de quatre ou cinq pieds de haut, du milieu duquel sortait un fort poteau qui supportait un petit banc. Sur ce petit banc un homme était assis, les mains enchaînées, attaché au poteau par un carcan de fer qui lui serrait le cou ; et cet homme, c’était mon père ! Debout sur l’échafaud le bourreau attendait, et, autour, quatre gendarmes, le sabre nu, montaient la garde et maintenaient la foule à distance. Ma mère, voyant son Martissou en cette triste posture, fit un gémissement douloureux et se mit à pleurer dans son tablier, tandis que moi, saisi