Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/109

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quatre gendarmes. Quoique, sur le pas des portes et des boutiques, les gens le dévisageassent curieusement, je suis bien sûr qu’il ne cillait pas tant seulement les yeux. Nous, c’était différent, nous avions la contenance triste, la figure désolée, les yeux mouillés que nous essuyions d’un revers de main, et ceux qui nous voyaient passer disaient entre eux :

— Ça doit être sa femme et son drole.

Cette nuit-là, je dormis mal. La tête pleine de mauvais rêves, je me réveillais des fois en sursaut et je me serrais contre ma mère, qui, elle, la pauvre femme, ne dormait pas du tout, et, pour me tranquilliser, me prenait et m’embrassait longuement. Lorsque vint le jour, elle se leva, et, me laissant sommeiller, alla s’asseoir près de la fenêtre, regardant sans rien voir, perdue dans son chagrin. Ainsi je la vis sur la chaise, lorsqu’à sept heures j’ouvris les yeux, les bras allongés, les mains jointes, la tête penchée, le regard fiché sur le plancher. De la rue montaient les cris des marchandes de tortillons et de châtaignes, ce qui acheva de m’éveiller. Ma mère m’ayant habillé, nous sortîmes, pensant revoir mon père ce jour-là, comme son avocat nous l’avait fait espérer : aussi, nous allâmes tout droit à la prison où il nous avait dit de l’attendre. En chemin, ma mère acheta pour deux liards de châtaignes sèches qui n’étaient guère bonnes, car la saison était passée, et nous fûmes nous asseoir contre cette terrible porte