Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/165

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d’où l’on domine le pays, que mes chagrins s’apaisaient. C’est qu’à mesure qu’on monte, l’esprit s’élève aussi ; on embrasse mieux l’ensemble des choses de ce bas monde où tant de misères sont semblables aux nôtres, et l’on se résigne. Et puis on respire mieux sur les hautes cimes et, en ce moment, avec l’air pur, l’ombre et le repos me donnaient un bien-être qui m’engourdissait. Le bourg était désert quasi, la plupart des gens étant dans les terres à couper le blé. De tous côtés, les cigales folles grinçaient leur chanson étourdissante, toujours la même, et, autour du clocher, dans le ciel d’un bleu cru, les hirondelles s’entre-croisaient avec de petits cris aigus. Un écho affaibli des chansons des moissonneurs montait de la plaine et se mêlait aux voix des bestioles de l’air. Sur la petite place devant l’église, au pied d’une ancienne croix, un coq grattait dans le terreau et appelait ses poules pour leur faire part d’un vermisseau. Je contemplais tout cela, machinalement, les yeux demi-clos, bercé par ces bruits qui m’enveloppaient, et alangui par le manque de nourriture. Tandis que j’étais là, rêvant vaguement au sort qui m’attendait, l’Angélus de midi sonna dans le clocher, envoyant au loin, sur la campagne brûlée par le soleil, un son clair, et faisant vibrer la muraille massive contre laquelle je m’étais adossé. Puis la cloche se tut, et le curé sortit de l’église, où il venait sans doute de remplacer son marguillier occupé à la moisson. En