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Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/219

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blables à de grandes visières. Celles-là marchaient lourdement, chaussées de gros souliers ferrés, comme leurs maris. Les hommes étaient habillés, selon leur pays, de culottes en grosse toile de sacs, ou de droguet ; peu de blouses, mais des vestes de bure, ou des gipous de forte étoffe bleue, avec des poches par derrière dans les pans écourtés de cette espèce d’habit. Et c’est là qu’on connaissait les gens ménagers de leur argent, au morceau de pain qui enflait leur poche d’un côté, et à la petite roquille de terre brune qui dépassait dans l’autre poche, bouchée avec une cacarotte, ou épi de blé d’Espagne égrené. Il y en avait qui au lieu de pain avaient dans leur poche un tortillon, mais ceux-là passaient pour des prodigues.

Tous ces hommes, leur grand chapeau noir à larges bords à la main, marchaient lentement dans la pierraille poussiéreuse avec leurs lourds souliers, sous un soleil brûlant qui leur faisait cligner les yeux. Les femmes, leur chapelet d’une main, et portant de l’autre un petit cierge dont la flamme se voyait à peine sous ce soleil aveuglant, suivaient à petits pas en remuant les lèvres. Parmi les gens sains, on voyait des boiteux traînant avec une béquille une jambe attaquée du mal de Saint-Antoine, ou érysipèle ; d’autres qui avaient un bras en écharpe, plié dans des linges tout blancs pour la circonstance ; et d’autres encore qui avaient attrapé un effort, comme en témoignait leur culotte soulevée par