Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/285

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personne ne pût la diffamer : tout ça, c’était inutile. La gueuse se doutait qu’une fois marié avec Lina, Guilhem la laisserait là, et elle refusait fort et ferme. Alors lui, coléré, la rebutait grossièrement, et, plus elle lui faisait bien, plus elle le mignardait pour l’apaiser, plus il la rabrouait durement. La pauvre Lina recevait le contre-coup de tout ça, car sa mère l’avait prise en haine, de manière qu’elle en vint jusqu’à la battre. Moi, qui savais ce qui en était, soit par elle, soit par la Bertrille, je m’ennuyais grandement de la savoir malheureuse comme ça et je m’en tourmentais au point de n’en pas dormir, des fois toute une nuit. Il me venait souvent à l’idée de corriger ce Guilhem, et les mains me démangeaient ; mais Lina me suppliait de n’en rien faire, et moi je ne bougeais pas, de crainte de la rendre plus malheureuse encore.

Pourtant, un jour, n’y tenant plus, je le jointai dans un coin, à Thenon, et je lui signifiai que, pour ce qui était de la Mathive et de ses louis d’or, il pouvait en disposer à son plaisir, cela je m’en moquais ; que, quant à Lina, je lui défendais de s’occuper d’elle en rien.

— Fais attention, continuai-je, que si tu as le malheur de lui faire soit des misères, soit des amitiés, j’aurai ta peau !

Il était pour le moins aussi fort que moi ; seulement il était lâche, et il me jura ses grands diables qu’il ne lui avait jamais tenu de propos reprochables, ni en bien, ni en mal. Tout ce