Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/375

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Croquant. De celui-là, il passa à mon grand-père emprisonné à la veille de la Révolution pour avoir brûlé le château de Reignac ; puis vint à mon père, le meurtrier de Laborie, mort au bagne, et enfin, arrivant à moi, il dit que j’avais dépassé mes ancêtres en précoce perversité, puisque, avant d’incendier l’Herm, à l’âge de huit ans j’avais brûlé la forêt du comte. Ensuite après avoir longuement assuré que la haine des riches était le seul mobile de mon crime, il passa aux autres accusés. Pour ceux-là, il ne refusait pas les circonstances atténuantes, il se contentait des galères à perpétuité. Mais pour moi, qui avais conçu, comploté et exécuté le crime, comme cela résultait de mes propres aveux, il fallait que ma tête tombât : et en même temps, d’un geste de sa main sèche, il semblait me la couper lui-même.

Moi, j’écoutais tout ça distraitement, sans beaucoup m’en émouvoir ; ma pensée était ailleurs. Je revoyais mon pauvre père assis sur ce même banc où j’étais, et ma mère mourant sur un grabat dans toutes les affres du désespoir ; je songeais à ma chère Lina gisant au fond de l’abîme du Gour, et, me laissant aller à toutes ces tristes pensées, je me disais que maintenant, ayant vengé ceux que j’aimais, ma tâche faite, la mort n’avait rien d’effrayant…

— Maître Fongrave, vous avez la parole, dit le président.

Et alors notre avocat se dressa en pieds, posa