Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/462

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paysans, si communs autrefois, sont devenus de plus en plus rares, et finalement ont disparu, maintenant que chacun, pour petit qu’il soit, peut recourir à la loi qui nous protège tous. Pour moi, j’ai la foi que je suis le dernier croquant du Périgord.


Longue vie ne diminue pas les peines, dit-on ; pourtant, comme on peut le voir, ma vieillesse est plus heureuse que ma jeunesse. Les gens de l’Herm sont quasi fiers de moi ; et, lorsqu’il vient des messieurs visiter les ruines du château, s’ils demandent chose ou autre à ce propos, on leur répond :

— Le vieux Jacquou vous dirait tout ça ; il sait mieux que personne les choses anciennes de l’Herm et de la Forêt Barade, car il est le plus vieux du pays, et c’est lui qui a fait brûler le château.

Et lors, quelquefois, on me vient quérir, et, assis sur une grosse pierre, dans la cour pleine de décombres et envahie par les herbes sauvages, je leur conte mon histoire. Un de ces visiteurs, qui est venu deux ou trois fois à l’exprès, m’a dit qu’il la mettrait par écrit, telle que je la lui ai contée. Je ne sais s’il le fera, mais il ne m’en chaut : comme je le lui ai dit, je ne suis plus à l’âge où l’on aime à entendre parler de soi.

Ainsi ma vie achève de s’écouler doucement, en paix avec moi-même, aimé des miens, estimé