créance non plus. Chacun se défiait instinctivement d’une aubaine aussi étrange et inusitée. On avait vu tous les gouvernements prendre de l’argent, mais en donner, jamais !… Quant à l’expropriation présentée comme légale et possible, elle suscitait des protestations unanimes : c’était purement et simplement le vol et la spoliation.
— Le gouvernement du roi n’appliquera jamais une loi qui date des mauvais jours de la Révolution ! dit à Daniel un gros bourgeois colérique, fils de jacobin.
— Mais ripostait le docteur puisqu’il est bien établi, constaté, démontré par la science et l’expérience, que les étangs empoisonnent le pays, n’y a-t-il pas inhumanité de la part des propriétaires à les laisser subsister ? Et si leur égoïsme coupable ne veut pas entendre raison, l’État, protecteur de tous les citoyens, ne doit-il pas détruire d’office ces foyers d’une maladie qui moissonne chaque année des centaines de créatures humaines dans la malheureuse Double ?
— Vous avez beau dire, monsieur Charbonnière, l’État n’a pas le droit de s’emparer de nos biens !
— Aussi ne s’en emparerait-il pas. En vous contraignant à détruire des étangs artificiels, il se bornerait à vous obliger de remettre les lieux en leur état primitif, à vous empêcher de faire de ces biens un usage nuisible à nos concitoyens, ce qui est son droit et son devoir !
— Ce droit-là n’est autre que l’odieux droit de confiscation si largement pratiqué en quatre-vingt-treize !
— N’en dites pas trop de mal, monsieur Carol : votre propriété est un bien d’émigré acquis par votre feu père !