Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/57

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maître actuel de cette terre était digne de ses père et aïeul. Son industrie consistait à faire travailler ses écus en prêtant à des taux fortement usuraires, et à dépouiller les pauvres diables qui, pour leur malheur, avaient affaire à lui. Très correct dans la forme, d’ailleurs, il décorait ses manigances d’une certaine respectabilité apparente, comme étant au lieu et place des anciens seigneurs. Il ne parlait que de droit, de justice, d’équité, savait au besoin sacrifier un écu à ceux qu’il avait ruinés, faisait des aumônes calculées ès-mains de son curé, assistait régulièrement à la messe paroissiale. Veuf depuis quelques années, M. de Légé n’avait qu’une fille de dix-huit ans, que feu sa mère, entêtée comme le grand Napoléon des poèmes nébuleux d’Ossian, avait nommée Minna.

Daniel pensait vaguement à cette cousine qu’il avait vue pour la dernière fois, cinq ou six ans plus tôt, barbouillée de raisiné jusqu’aux pommettes, et s’en allait, un peu alourdi par la chaleur, lorsque soudain, juste avant d’atteindre au petit village d’Echourgnac, il entendit derrière lui le galop d’un cheval sur lequel, se retournant, il vit Bricou monté à cru, la corde du licol passée dans la bouche de la bête.

— Et où cours-tu si vite ?

— Je cours après vous ! fit l’autre, tout essoufflé. Venez vite, s’il vous plaît !… Notre jeune demoiselle a été mordue par un serpent comme elle ramassait du mouron pour ses oiseaux, dans le jardin…

Daniel fit demi-tour et mit sa jument au galop, suivi de Bricou, dont les sabots battaient les flancs poilus de sa monture.

En arrivant au château, le docteur trouva la cuisinière qui s’était avancée sur la porte pour le guetter.