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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/102

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Mais il me passait par la tête des envies folles de retourner là-bas, de revoir la demoiselle Ponsie. Même il me semblait que rien que de voir Puygolfier, de passer un instant dans le pays, de respirer quelques minutes le même air qu’elle, ça me ferait du bien. Cette idée me tenait tellement, qu’un soir, avant soupé, je partis sans rien dire à ma mère, qui se couchait de bonne heure.

Quoique la nuit vint, de crainte d’être reconnu, au lieu de passer sur la route d’Excideuil, je pris celle de Paris, par Sept-Fonds et Sorges. Une fois là, je suivis les chemins de traverse par Ogre et Lamigaudie, et après avoir laissé le château de Glane sur ma droite, je remontai en suivant presque la rivière.

J’étais parti avec un bâton, et je marchais d’un bon pas, n’ayant point de peur. Je conviens tout de même que si Delcouderc avait été par les champs, je n’aurais pas été fort tranquille, et bien des gens auraient été comme moi, qui étaient des hommes faits. Il faut dire aussi qu’en ces temps, on ne parlait que de lui le soir aux veillées : les assassinats qu’il avait commis, en passant par les langues de village, avaient doublé de nombre, et les conditions dans lesquelles ces crimes avaient eu lieu, étaient devenues tout à fait extraordinaires. On citait les tours d’adresse et d’audace de l’assassin, et je crois bien aujourd’hui, que dans le nombre, il y en avait qui appartenaient à d’autres fameux brigands de jadis. Bref, il se faisait une légende sur son compte, et l’ordinaire de ces contes, est de brouiller les époques, de confondre les faits, et surtout de les augmenter. Mais cela n’empêche, qu’en ce temps-là, dans nos campagnes, les petits enfants épeurés en oyant ces histoires, n’osaient pas tant seulement sortir devant la porte avant d’aller se coucher ; il fallait les mener par la main.

Pour lors, donc, Delcouderc étant bien verrouillé