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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/119

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coups, un dans chaque nasière, sans en perdre un brin.

Il était plein de malice et d’esprit, et il ne faisait pas bon passer par sa langue ; mais il n’attrapait que ceux qui le méritaient. Ce qu’il pensait, il le disait, et il en pensait long. Bon homme au fond et facile avec les pauvres gens, il n’aimait pas les riches, ni les nobles, ni les curés, et il était dur pour leur égoïsme et leurs vexations. Il savait toutes les vieilles histoires du pays, pour les avoir ouïes des anciens, et il les racontait avec une bonne humeur endiablée. Quand on venait à parler de quelque riche bourgeois de nos cantons celui-ci ou celui-là, il savait l’histoire de leur fortune. Et il racontait comment le père avait gagné quelques écus en faisant le peyrolier, et en courant les campagnes pour acheter la vieille ferraille ; comment le fils avait fait profiter ces écus en achetant des coupes de bois pour les forges aux gens gênés, en prêtant à usure, et en faisant exproprier les pauvres diables qui tombaient sous sa coupe.

C’est comme ça, par exemple, que le défunt M. Chabannet avait eu pour un morceau de pain de bonnes propriétés, et même la papeterie du Coudreau, dans le haut de la rivière. Et aujourd’hui son petit-fils faisait le gros monsieur, voulait être député, et il avait tout un attirail de maison, et ne fréquentait que les nobles, qui riaient joliment d’ailleurs du sot orgueil de celui dont le grand-père avait étamé leurs casseroles.

Et cet autre, dont l’aïeul avait porté le bonnet rouge, et était un des plus chauds Jacobins de la Société populaire d’Excideuil ; pourquoi était-il royaliste à cette heure ? pourquoi suivait-il le parti des nobles, lui dont cet aïeul faisait les motions les plus féroces, et parlait couramment de l’accolade fraternelle de la hache révolutionnaire ?

Et pourquoi aussi était-il si grand ami des curés ;