Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pleines jusqu’au bouton, d’une boue rouge, qui marquait bien qu’il ne faisait pas bon venir là avec les chemins qu’il y avait.

Ce charlatan, en tenue d’artilleur, arrachait les dents avec son instrument, avec un couteau, avec un clou, avec son sabre, et le mâtin était habile. C’était d’abord fait. Il vendait aussi de la poudre pour les vers et c’était là qu’il faisait ses affaires. Il commençait par raconter l’histoire d’un jeune drole de six ou sept ans, qui était malade, les parents ne savaient pourquoi. On leur avait bien dit qu’il fallait lui donner pour les vers, mais eux n’en avaient rien fait. Cependant, voilà que ce petit a une attaque de vers et meurt dans des convulsions épouvantables, que le charlatan racontait à faire tribouler les gens. Mais ce n’était rien ; voici que tout d’un coup, il prenait dans le coffre de sa voiture le squelette de cet enfant et le montrait de tous les côtés à la foule. Oh ! alors, en voyant ça et entendant le cliquettement des os, les pauvres bonnes femmes de mères qui étaient là, en avaient des tressaillements dans les entrailles, et prenaient pour cinq sous un paquet de la poudre qui tuait ces vers maudits. Et les hommes, quoique plus durs, en achetaient aussi.

À trois heures, la foire commença à se défaire, les gens s’en allaient par petites troupes. Les marchands se mirent à plier leurs marchandises pour partir. Quelques-uns couchaient à leur auberge, et repartaient le matin.

Le lendemain à midi, le bourg était retombé dans sa tranquillité habituelle ; on n’aurait jamais cru qu’il y avait eu foire la veille, si on n’avait vu les enfants et les vieilles femmes ramasser la bouse dans le foirail des bœufs. Sauf les foires, le bourg était comme engourdi dans les vieilles coutumes d’autrefois. Il n’était sur aucune route, les chemins étaient mauvais, et il fallait expressément se détourner de son