Aller au contenu

Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

affaires aussi bien. Vous serez toujours la plus fine cuisinière que je connaisse dans notre pays où elles ne sont pas rares pourtant. Le chef de la Préfecture n’est qu’un gargotier au prix de vous.

Et la pauvre bonne femme souriait, heureuse de voir son hôte content ; toutefois allant à la cuisine et songeant à son défunt mari, mon père, qui aimait à se réjouir à table avec ses amis, elle essuyait ses yeux mouillés.

Nous buvions de bon petit vin du Frau, et mon oncle ne le ménageait pas. Les gobelets d’une roquille étaient toujours pleins, et il conviait souvent M. Masfrangeas à vider le sien en trinquant. D’eau sur la table, il n’y en avait point, selon l’ancienne coutume du pays, et personne n’en demandait.

Après un petit moment, pendant lequel j’avais levé les assiettes, ma mère revint apportant un levraut piqué de lard sur le râble et les cuisses, et allongé dans son plat, comme une grenouille qui saute à l’eau.

— Que dis-tu de cette bête, Frangeas ?

— Je dis, mon vieux Rétou, que c’est un joli levraut d’avocat, et qu’il est rôti si à point qu’il y aura du plaisir à lui dire deux mots ; oui.

— Surtout, ajouta mon oncle, avec une aillade comme les sait faire ma belle-sœur, hein ?

— Seulement, reprit M. Masfrangeas, une chose me dérange ; tu n’étais pas, bien entendu, en règle avec la loi.

— Quelle loi ?

— Hé ! la nouvelle loi du trois de ce mois. Dorénavant on ne pourra plus chasser qu’à de certaines époques, et avec ça il faudra un permis qui coûtera vingt-cinq francs.

— Une propre loi ! s’écria mon oncle. Ah ça, ce vieux farceur de Philippe a donc encore besoin d’argent pour doter quelqu’un de ses enfants ? S’il n’y a que