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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/241

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— Que voulez-vous, il est le maître !

Lajarthe, lui, disait tout hautement que des hommes comme M. Silain étaient des bêtes nuisibles :

— Vois-tu, mon pauvre Hélie, nous autres pauvres paysans, nous avons été tellement écrasés pendant des siècles, que nous ne pouvons par finir de nous relever. Au lieu de faire comme les porcs qui courent tous au secours de celui des leurs qui est attaqué, nous ferions plutôt comme les chiens qui tombent sur celui de la meute que le maître bat : c’est triste !

— Il n’y a qu’un remède à ça, disait mon oncle, c’est l’instruction et la liberté. Les gens finiront par comprendre que c’est leur devoir et leur intérêt de se soutenir, et qu’ils seront les maîtres, le jour où ils sauront tous dire aux Silain, aux Pinot, aux Lacaud : — Non !

Le jour du départ des métayers de Puygolfier, ils passèrent devant chez nous, pour traverser au gué, emportant sur une charrette leur pauvre mobilier. Le père allait devant les bœufs, se retournant de temps en temps pour leur crier : Hâ ! hâ ! et les piquer de l’aiguillon. Sur le devant de la charrette, on avait fait une place où était assis le grand-père infirme. Une table longue à pieds massifs, deux bancs, un vieux cabinet de cerisier noirci par la fumée, une maie, deux vieux châlits piqués par les vers, deux ou trois chaises à moitié dépaillées, un dévidoir fait à coups de hache, une barrique vide, s’entassaient sur la charrette. Par-dessus, étaient jetées les paillasses de grosse toile rapiécées de morceaux différents, et deux vieilles couettes jaunies. Deux seaux se balançaient sous la charrette, avec des paniers où il y avait des bouteilles vides, des fours d’oignons, des pelotons de fil, et d’autres où gisaient des poules les pattes liées. Aux ridelles étaient accrochées des affaires : une oulle pour les châtaignes, une tourtière à faire