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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/263

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bande. Si Paris marchait, tout irait bien, de tous les côtés on se lèverait et on balayerait ces gens-là. Mais tout ça, c’est toujours du sang qui va couler, et c’est triste de penser qu’il y a des gens qui vont mourir, parce qu’il plaît à un homme perdu de dettes de faire un coup pour gagner le pouvoir et la caisse.

Moi, entendant tout ça, je me tracassais aussi de ce qui allait arriver, et des malheurs qui pourraient s’en suivre, pour toute la France en général. Mais je dois le dire, j’étais aussi un peu inquiet à cause de mon oncle. Pourvu, me pensais-je, qu’on ne s’en prenne pas à lui par ici : il n’est qu’un paysan, mais avec ça dans les commencements de la République, les gens l’écoutaient bien et faisaient ce qu’il leur conseillait. Quand il y avait quelque mot d’ordre à donner par chez nous, c’est à lui qu’on le faisait savoir, car il était connu et avait connaissance de plusieurs qui étaient les chefs du parti à Périgueux. Et puis, il était abonné à la Ruche du citoyen Marc Dufraisse, qui était le grand épouvantail des bourgeois périgordins. Rien que ça, c’était assez ; mais en plus, il faut dire que mon oncle était un homme carré comme un pied de coffre, qui ne se gênait pas pour dire ce qu’il avait sur le cœur. Je pensais aussi que d’aucuns lui voulaient mal, comme M. Lacaud, notre ancien maire, qui l’était redevenu, et ce Laguyonias, qui était le grand cabaleur des gens de Bonaparte. Ils avaient bien choisi pour la ruse, la menterie, l’habileté à tromper ; mais autrement c’était une canaille. Ces individus, qui en veulent à mon oncle, me disais-je, et qui sont du parti de Bonaparte, pourraient bien lui faire quelque méchant tour. Et quand je venais à penser à la manière dont les gendarmes d’Excideuil l’avaient regardé un jour de marché, comme je l’ai raconté, je me disais qu’il devait être signalé comme un homme dangereux. Oui, dangereux, c’est comme ça qu’en ce temps-là les gens en place et leurs esta-