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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/272

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dit ; la peur et l’égoïsme ont fermé toutes les bouches, et ce grand crime s’est accompli.

Il était sur les neuf heures du soir quand je fus au Frau. Je trouvai ma femme au lit, avec la fièvre, dormant un moment, et se réveillant en sursaut, la tête pleine de mauvais rêves. Le petit pleurait, lui, et lorsque sa mère lui donnait le téton, il le prenait et le lâchait d’abord.

À la cuisine, Gustou me dit qu’il était venu des messieurs avec le maire, M. Lacaud, et qu’ils avaient fait une perquisition dans la maison, et au moulin dans la chambre de mon oncle, fouillant les tiroirs, retournant tout dans le vieux cabinet, pour trouver des papiers et des listes d’une société, à ce qu’ils disaient entre eux. Heureusement, un mois auparavant, mon oncle, qui sentait venir le coup, avait mis des lettres et d’autres papiers dans une cache introuvable pour les plus fins limiers. Ces messieurs avaient trouvé seulement des vieux numéros de la Ruche et des petits livres républicains ; mais de papiers et d’écritures point. Pour qu’il ne fût pas le dit, qu’ils s’en retournaient comme ils étaient venus, ils avaient saisi les journaux et les petits livres.

Je ne veux pas dire le nom de ces hommes qui avaient accepté, et dont l’un avait même demandé cette vilaine commission, pour faire valoir son dévouement à Bonaparte, et obtenir de l’avancement. Je ne le dis pas à cause de leurs fils, qui heureusement, valent mieux que leurs pères et sont de bons citoyens.

Le lendemain de grand matin, ma femme me dit : Mon lait est gâté, je n’en ai presque plus, je ne peux plus nourrir mon drole… Et elle se mit à pleurer à chaudes larmes.

Heureusement, le petit avait un peu plus d’un an, et avec du lait que nous prenions à Puygolfier, où la demoiselle tenait une brette, il finit par prendre le