Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/307

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une robe, mais que ça ennuyait de se laisser raser comme ça. Alors les marchands leur faisaient voir celles qui étaient tondues, quand elles avaient remis leur mouchoir de tête, les assurant que ça ne se connaissait point par le moyen des cheveux laissés dessus le front, et les faisaient entrer en marché.

— C’est un foutu vilain maquignonnage, que je dis à mon cousin, allons-nous en.

Le lendemain, je m’en retournai au Frau, emportant un couteau qu’Estève avait acheté pour notre aîné.

Au mois d’août de cette même année, ma femme eut un autre drole, qui fut enregistré sous le nom de Bernard, mais que nous appelions tant qu’il était petit, Berny. L’aîné s’en allait tout seul depuis longtemps, autour de la maison, et venait au moulin nous trouver. Quelquefois je le regardais, assis dans le sable au bord de l’eau, faisant de petits étangs et de petits ruisseaux, et sa manière de faire, ses petites inventions, réveillaient dans ma mémoire le souvenir de pareilles choses que j’avais faites. Il me semblait me voir moi-même à cet âge, me roulant dans le sable, et, couché à plat ventre, essayant d’attraper des petites gardèches. Et souventes fois lorsque la demoiselle Ponsie descendait de Puygolfier, et prenait mon aîné sur ses bras, ou l’emmenait par la main, je me revoyais petit enfant, et je me rappelais mes adorations pour la jeune demoiselle qu’elle était alors, si fraîche, si pleine de santé, si jolie, que ça réjouissait le cœur rien que de la voir.

Pendant l’hiver de 1857, les eaux devinrent fortes, et une nuit elles emportèrent un morceau de l’écluse, de manière qu’il nous fallut mander des ouvriers et travailler beaucoup pour la réparer. Le moulin chôma quelques jours, après quoi on put faire moudre. Mais, on n’avait rétabli que le plus gros, pour attendre le beau temps, en sorte que lorsque les eaux furent