Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/309

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comme nous l’avons assez vu, le vieux Jardon attrapa du mal pendant les fauchaisons. Le médecin fut mandé, trop tard comme toujours, aussi il dit d’abord que c’était un homme perdu. Je montai au Taboury avec ma femme, et, en effet, on voyait de suite qu’il était bien fatigué. Il était là, étendu sur le lit garni de courtines de vieille serge jaune, respirant avec peine et ayant une grosse fièvre. Sous sa tête, on avait mis un joug à lier les bœufs, pour adoucir ses souffrances et lui donner la force de les supporter. Ça n’était pas à cause de ça, sans doute, mais sa figure, dure comme toujours, était tranquille et même résignée.

Il se mourait d’une pleurésie, qui est la maladie des paysans, comme la goutte est celle des riches. On avait rapporté au vieux la sentence du médecin, pour l’avertir qu’il fallait faire venir le curé, et il avait dit que bien, mais qu’il fallait aussi aller vitement quérir le sorcier de Prémilhac, qu’il n’y avait que lui qui pût le tirer de là. Le curé était venu avec Jeandillou, l’avait confessé, communié, olivé, et s’en était retourné. Il n’y avait guère qu’un petit quart d’heure que nous étions là, quand arriva le sorcier.

C’était un homme de moyenne taille, bien carré et charpenté, un paysan point du tout dégrossi, comme celui qui n’était pas tant seulement allé à Périgueux, et ne sortait de son village, que pour se rendre aux environs où on l’appelait. Avec ça, dur à soi et aux autres, ne faisant aucun cas des choses nouvelles, mais attaché avec entêtement aux anciens usages, et, comme de bien entendu, plein de toutes les superstitions d’autrefois. Il était habillé d’un pantalon à pont-levis en laine burelle, couleur de la bête, d’un vieux gilet à fleurs, boutonné carrément jusqu’au col, et garni de deux rangées de boutons de cuivre, polis et brillants, qui avaient usé bien des gilets et se transmettaient de père en fils dans sa famille.