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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/340

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froment, le blé rouge, les haricots, les pommes de terre et les autres revenus, mais c’était tout.

Au contraire, ces métayers étaient de braves gens avec qui nous étions tout à fait bien. Dès la première année, ils nous vinrent convier à faire la Gerbe-baude. Nous fîmes porter chez eux du vin, de l’eau-de-vie, d’autres affaires et nous y fûmes mon oncle et moi, et deux de nos droles.

C’est un dur travail que la moisson. Être toujours plié en deux, la tête en bas, sous un soleil qui brûle, à respirer la chaleur que la terre renvoie, et ça toute une journée et des semaines, on se demande comment des femmes y peuvent tenir. Les pauvres, pourtant, elles le font, les jeunes et les vieilles, et il y en a qui sont nourrices de ce temps, et qui couchent leur petit à l’ombre d’un pilo de gerbes, et vont le faire téter de temps en temps quand il s’éveille. C’est un malheur et une honte, que de voir les femmes dans nos pays, travailler la terre comme des hommes : c’est un malheur, parce que ce travail trop fort les crève et nuit à la race, et c’est une honte, quand on voit tant d’hommes qui ne font rien et qui se plaignent ! On comprendrait pour les femmes, des petits travaux point trop fatigants quand ça presse, comme de faner, de vendanger, de ramasser les haricots ; mais de les voir moissonner, travailler la terre avec de grosses pioches, battre le blé, ou même fouir la vigne avec des hoyaux de cinq ou six livres, c’est une chose à laquelle je n’ai jamais pu m’habituer et qui me met toujours dans des colères noires.

Il ne faut pas s’étonner après ça, si on voit tant, par chez nous, de ces pauvres vieilles cassées en deux par les reins : à force de s’être courbées vers la terre, elles ne peuvent plus se relever. Et comme la grossesse ne les arrête pas, les enfants qui en sont venus de ces pauvres femmes, se ressentent de toutes ces fatigues trop fortes et de la nourriture mauvaise,