Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/345

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voyant détruites, étaient furieux. La plupart ne s’en prenaient pas au bon Dieu, mais l’idée leur vint que le curé Crubillou n’était pas jovent, et ça se répandit tellement que bientôt tout le monde en fut persuadé ; d’autant mieux qu’on remarquait que du temps du curé Pinot il n’avait jamais grêlé.

Moi je m’en fus chez nous, et à mesure que j’approchais, je voyais que c’était là comme autour du Bourg : tout était perdu, le blé, les noix, le chanvre, les vignes ; il ne restait rien, et par-dessus le marché, quatre noyers étaient par terre. Pour la vigne, ce n’était pas seulement la vendange de l’année, perdue, mais le bois était tellement écrasé qu’on eut du mal à tailler l’année d’après, et que beaucoup de pieds crevèrent. Joint à ça, la ravine qui avait entraîné toutes les terres dans les fonds. Pour ce qui est des bâtiments, il fallut faire resuivre toutes les tuilées, car il pleuvait partout comme dehors.

Nos métayers de la Borderie vinrent, les pauvres gens, tout désespérés, ne sachant plus où ils en étaient. Ils parlaient d’aller se louer chacun de son côté, de manière qu’il nous fallut les rassurer un peu et leur dire que nous leur aiderions à se tirer de ce mauvais pas : et en effet, il nous fallut leur fournir le blé toute une année.

Mais, ce n’était pas eux seulement qui avaient recours vers nous. Il se trouvait que, comme les apparences de la récolte étaient très bonnes, le prix du blé était descendu beaucoup, ce pourquoi mon oncle en avait acheté dans les environs de deux cent cinquante sacs. Aussi les gens venaient au moulin emprunter une quarte, deux quartes, un sac de blé, et nous le prêtions, sans autre condition que de le rendre l’année d’après.

Tout le monde ne fit pas comme ça, entre autres M. Lacaud. Il disait qu’il était aussi en peine que ses métayers, ayant perdu sa part de récolte comme eux.