Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/351

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il ne reste pas un moment pour exercer leur jugement et leur montrer à mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Le savoir et l’acquis priment du tout les qualités de nature. Un troupier qui serait brave comme Ney, le brave des braves, qui aurait du sang-froid, du coup d’œil, de la décision, toutes les qualités militaires, à quoi ça le mènerait-il ? À commander une escouade. Il faut bûcher et accrocher à force, des bribes de science pour aller plus haut. Mais il arrive trop souvent que des gens farcis de savoir se trouvent incapables de le mettre en œuvre, faute des qualités naturelles nécessaires pour ça.

Il en est de même dans tous les états. Il ne manque pas de conducteurs plus capables que leurs ingénieurs, de praticiens plus ferrés que des avocats, d’entrepreneurs plus habiles que des architectes ; mais voilà, ils n’ont que la pratique, les sacrements scientifiques leur manquent. Tout est sacrifié au savoir des livres maintenant, et je trouve que ce n’est pas raisonnable, car il ne suffit pas d’avoir des connaissances, mais il faut encore savoir s’en servir pour son état, et s’en aider aussi pour se perfectionner comme homme. Pour moi, il me semble que la première chose à faire, la plus pressée, la plus essentielle, la plus indispensable, c’est de faire de nos enfants des hommes. De la manière dont ça marche aujourd’hui, ce point reste en arrière ; on veut avant tout faire des savants. Je crois que c’est une mauvaise chose ; nous aurons peut-être plus d’ingénieurs, de médecins, de pharmaciens, d’avocats, de notaires, de professeurs et d’apprentis sous-préfets, mais moins d’hommes : déjà ça se sent ; nous avons assez de talents, peu de caractères.

De tous nos enfants, il y en avait un, Bernard, qui aimait assez à apprendre, et qui, quoiqu’il n’apprît guère plus vite que ses frères, savait davantage, parce qu’il travaillait avec plus de goût. Lorsque ce