Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/36

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Tout le monde se mit à rire, y compris la géante, et nous sortîmes là-dessus.

— Ce punch, dit M. Masfrangeas, ça altère ; si nous prenions un petit bol de vin à la française !

— Tout à l’heure, dit mon oncle. Et nous continuâmes à nous promener dans la foule.

Nous voilà arrêtés devant une baraque de lutteurs. Ah, il n’y avait pas de luxe dans cet établissement ; six ou huit grandes barres soutenaient une toile toute rapetassée. Sur le devant, des planches sur des barriques faisaient une estrade, où étaient rangés cinq lutteurs éclairés par des lampions de suif qui puaient fort. Ils étaient là, en maillot, les bras croisés pour mieux montrer leurs muscles, et, bien campées sur des cous énormes, leurs têtes au front bas, avaient une expression ennuyée et bestiale qui n’était pas bien plaisante à voir. Au-dessus de l’entrée une bande de calicot faisait savoir au public que l’arène était dirigée par le célèbre Jeanty, dit Le Rempart du Périgord.

— Tiens ! fit tout d’un coup mon oncle, le Canau !

En entendant ça, un des lutteurs se pencha vers la foule et dit :

— Qui parle du Canau ?

— Ici, répondit mon oncle en s’approchant.

L’hercule se pencha encore, cherchant son homme de ses gros yeux myopes qui lui sortaient de la tête. Sur son front ridé, ses cheveux roux se tortillaient en mèches courtes qui, avec sa grosse tête et ses yeux lui donnaient la ressemblance d’un bœuf, d’un bon gros animal pas méchant.

Il lui fallut mettre le nez sur mon oncle pour le reconnaître.

— Ah, c’est toi ! dit-il en lui serrant la main.

Puis après :

— C’est la dernière séance, il est dix heures et demie, entre avec ta société, et dans une demi-heure nous pourrons parler un peu.