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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/361

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à coup nous entendîmes le pas de la jument qui s’arrêta devant la porte de l’écurie. Un moment après le drole entra et tout de suite je connus à sa figure qu’il y avait quelque chose de nouveau qui n’allait pas.

Sans attendre nos questions, il nous dit tout triste :

— L’armée a été écrasée à Sedan ; tout ce qui n’est pas mort est pris ; Mac-Mahon est blessé, l’Empereur est prisonnier, et la République est proclamée à Paris.

En d’autres temps, cette dernière nouvelle nous eut fièrement touchés, mais au milieu des désastres de la France, nous ne pensions pas à nous en réjouir.

— C’est trop tard de trois mois ! dit mon oncle.

Et nous restâmes longtemps bouche close, pensant à tous ces effroyables malheurs qui tombaient sur nous. Puis, comme le drole ne savait rien de plus, nous fûmes nous coucher bien ennuyés.

Le lendemain, tandis que nous déjeunions, Hélie nous dit :

— Je veux m’engager et partir soldat !

Ni mon oncle, ni moi, nous ne dîmes rien ; seule ma femme lui répliqua :

— Mais tu n’as pas l’âge d’être soldat !

— Pas pour tirer au sort encore, répondit-il, mais si bien pour m’engager. Dans les volontaires qui partirent lors de la grande Révolution, il y en avait qui n’avaient que seize ans, comme le grand-père de mon père, et moi j’en ai vingt.

La pauvre mère, voyant son drole bien décidé, ne dit plus rien, et lui continua :

— Quand nous oyons lire une de ces belles histoires de ces anciens qui se dévouaient pour leur pays, nous disons : Comme c’est beau ! Mais à quoi ça nous servirait-il de les admirer, si nous ne tâchions pas de les imiter, lorsque l’occasion le veut ? Mère, laisse-moi partir, mon oncle et mon père ne disent pas de non.