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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/43

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paletot sur son maillot, et Poncet étant prêt, mon oncle dit : Il y a douze francs à manger, nous allons faire un vin chaud. Et nous voilà partis pour un petit café voisin. Sur la sortie de la baraque, la bourgeoise de Jeanty arrêta son homme :

— Ne bois pas trop, Jeanty, tu entends… Messieurs, ne le faites pas boire, il ne pourrait pas travailler demain.

— N’ayez crainte, lui dit Poncet ; un petit vin chaud avec des anciens camarades, ça ne peut pas lui faire de mal.

Ce petit vin chaud de trois pintes fut servi au bout d’un moment, dans une bassine à faire les confitures, faute d’un bol assez grand. Et la quantité ne faisait pas tort à la qualité, car mon oncle avait commandé tout ce qu’il y avait de meilleur en fait de vin vieux.

Tandis que nous buvions en trinquant à chaque verrée, j’appris plusieurs choses, entre autres que le Canau avait été ainsi baptisé, parce qu’un jour dans la classe, le régent lui ayant demandé comment on appelait un cours d’eau artificiel, il avait répondu : Un Canau ! ce qui avait fait esclaffer tous les autres, et lui avait valu une bonne gifle.

Puis il raconta sa vie, le pauvre Canau. À cause de ses mauvais yeux, il n’avait pu apprendre de métier. Faut y voir, pas vrai, pour taper sur une enclume, pour équarrir une pièce de bois, ou monter sur une tuilée, ou faire quoi que ce soit. Et alors ne pouvant, il s’en était allé à Bordeaux, travailler sur le port où il gagnait sa vie au jour la journée. Puis un soir à une foire de mars, il était entré sur les Quinconces dans une baraque de lutteurs et s’était essayé, et ma foi il s’était laissé embaucher.

Depuis ce temps, il courait les foires dans toute la France ou guère ne s’en fallait ; et un jour, la demoiselle d’un café où il allait, à Beaucaire, pendant les