Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/437

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XI


Me voici au bout de mon écriture, et, arrivé là, je regarde derrière moi comme le bouvier qui a fait sa dérayure. Je me vois tout petit, petit drole, me roulant dans le sable au bord de l’eau, et cherchant des cailloux verts, jaunâtres, ou suivant ma grand’mère en la tenant par son cotillon. Il y a longtemps de ça. J’ai aujourd’hui soixante-deux ans, et, entre ces deux époques, s’est écoulée la plus grande et la meilleure partie de ma vie. Je dis la meilleure, parce qu’elle enferme le temps de ma jeunesse, et qu’il m’est avis que l’homme ne fait pas comme le vin, il ne se bonifie pas en vieillissant. En prenant de l’âge, nous devenons durs, égoïstes : la bonté, la pitié, la générosité s’émoussent en nous, comme l’ouïe, la vue et la mémoire. Je dis ce qu’il m’en semble quant à moi ; je ne sais si les autres valent mieux.

Mon existence n’a point été sans peines, mais elle s’est écoulée du moins sans regrets et surtout sans remords, ce qui n’est pas peu de chose. Bien des aventures de mon jeune temps me font rire maintenant, comme par exemple ma passion bêtasse pour l’aînée des demoiselles Masfrangeas, qui, pour le dire en passant, a coiffé depuis longtemps sainte Cathe-