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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/451

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pioche vaillante, cela sera donc. Lorsque ce temps sera venu, les inégalités sociales, étant moins choquantes, n’engendreront plus de ces haines féroces qui épouvantent. Grâce au progrès des idées de mutualité, de solidarité, de justice, la vie sera moins dure pour les faibles, meilleure pour tous. Alors, nul ne pouvant se soustraire à la grande loi du travail, des millions de bras fainéants seront rendus au labeur, à la production, et les pauvres femmes qui s’exterminent aux champs et dans les ateliers seront renvoyées à leur ménage ; et puisqu’on parle que la population diminue, au lieu de faire l’ouvrage des hommes, elles feront des enfants…

Mais de quoi vais-je me mêler ? Ça n’est pas à un chétif meunier de raisonner de toutes ces choses, et j’entends qu’on me crie depuis un moment :

— Vieille baderne, retourne à ton moulin !

— Un petit instant, et j’y vais.

Moi je ne compte pas voir se réaliser tout ce dont j’ai parlé, et je le regrette, mais mes enfants le verront, j’en ai la foi. Ça me console tout de même, de penser qu’un jour viendra où l’égalité n’offusquera plus personne, où le travail primera l’argent, et où la charité, devenue inutile, ne sera plus qu’un souvenir. Ce jour venu par la marche sûre et pacifique des choses, on ne verra plus de gros rentiers inutiles comme les Lacaud, ni de mendiants à bissac comme Nicoud, mais davantage de gens ayant moyennement de quoi. Il y aura peut-être encore de la pauvreté, de cette pauvreté digne qui n’effraie pas les vaillants hommes, mais plus de misère imméritée. Le monde ne sera pas parfait, bien sûr, mais il aura fait un grand pas dans le chemin du progrès, en prenant la Justice pour la seule règle de tous les rapports de la vie sociale.

Mais si je ne vois pas ces grandes choses, j’espère