Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/135

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et qu’il aperçut la jeune fille matinalement levée, savonnant dans un baquet, debout près du puits, M. Lefrancq la contempla longtemps en rêvant. Les manches relevées au-dessus du coude laissaient voir la saignée du bras, et sur la peau blanche et mate la savonnade moussait, crémeuse, et faisait des bulles aux reflets irisés. L’air frais du matin et le mouvement avaient mis aux joues de la petite une délicieuse teinte rosée. Ses cheveux noirs, rattachés simplement, gardaient encore un peu de l’emmêlement de la nuit. Sa taille souple et son corsage libre du corset, sous l’éternelle petite robe noire, se dessinaient avec ces formes pures que la nature a voulu harmoniser, et que les femmes semblent se faire un plaisir de défigurer. Pendant qu’il la regardait ainsi d’en haut, malgré la distance elle sentait le regard de M. Lefrancq attaché sur elle, et un trouble non sans charme l’envahissait.

— Bonjour, mademoiselle Michelette ! dit-il.

Elle eut un imperceptible tressaillement. C’était la première fois qu’il lui donnait son prénom ; ordinairement, il disait simplement : « mademoiselle ».

Elle leva la tête et, à travers les mèches de ses cheveux qui lui tombaient sur les yeux, le regarda, émue, et lui rendit son salut.

— Vous vous êtes levée de bon matin, continua-