Page:Eugène Le Roy - Les Gens d’Auberoque, 1907.djvu/187

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l’avait prise. Elle se disait bien toujours qu’entre ce jeune homme de famille riche, sans doute, qu’entre ce fonctionnaire appelé à suivre sa carrière après un séjour de deux ou trois ans à Auberoque, et la fille d’un artisan ruiné, il ne pouvait y avoir aucune destinée commune ; mais ses sentiments persistaient malgré tout. En songeant que, dans un avenir pas très éloigné, M. Lefrancq partirait et qu’un autre le remplacerait comme il avait lui-même remplacé M. Duboisin, la pauvre petite s’attristait, ressentait un grand déchirement intérieur, mais elle se résignait comme à l’irrémédiable. Elle ne faisait pas de rêves ambitieux, éprouvant d’instinct une invincible répugnance à les associer aux aspirations de son cœur, et se gardait étroitement de tout ce qui eût pu être interprété par M. Lefrancq comme une coquetterie, même innocente. Quelquefois, assise sur sa chaise, tirant son aiguille en silence, elle s’efforçait de pénétrer l’avenir. Une idée obsédante l’angoissait surtout : M. Lefrancq se marierait un jour, peut-être prochainement… Cette prévision la remplissait d’amertume et elle souhaitait ardemment de n’être pas témoin de cela : il lui semblait qu’elle en mourrait.

M. Lefrancq, lui, se laissait aller au bonheur d’une affection épurée de motifs charnels, et se complaisait, en des rêves d’avenir, à joindre la destinée de Michelette à la sienne. La grâce pure, la